Notre vision du yoga
"L’homme est la matière prenant conscience d’elle-même."
Elisée Reclus
Nous pratiquons et transmettons les différents aspects du yoga dans le cadre d’une éthique rigoureuse de respect de la personne. Ce yoga met à l’oeuvre le corps par la posture, l’énergie par le souffle et la conscience par la méditation.
L’innovation, telle que la lignée de Desikachar nous en a fait comprendre la nécessité et nous en en a donné l’élan, consiste à ne jamais séparer ces trois domaines. La pratique posturale y est d’emblée méditative par l’extrême attention qu’elle requiert pour s’ajuster de l’intérieur, d’après le ressenti des placements et la qualité du souffle.
L’attention au souffle est fondamentale, elle permet de rentrer dans une relation de grande intimité avec soi-même. De plus la qualité du souffle, sa douceur et sa profondeur, devient le critère d’évaluation de la posture. Toute tension inutile, tout mauvais alignement crée des obstacles à son passage. Le calme mental favorable à l’état méditatif est amorcé par la relation corps / souffle.
Notre enseignement est d’autre part référé à l’étude du Yoga-Sūtra de Patañjali et nourri par une méditation incessante et partagée de ce texte. Il donne son sens à nos propositions et nous permet de les réévaluer sans cesse.
COMMENT CA FONCTIONNE ?
Les premiers pas dans la pratique consistent à se poser.
Couché sur le sol ou debout ou dans n’importe quelle autre position, il est question d’abord de donner son poids. Cela parait évident mais ne l’est pas. Pour le faire il y a quelque chose à lâcher : une tenue, ou retenue, habituelles, comme une programmation profonde ; et c’est quand elle lâche qu’on se rend compte qu’elle était là.
C’est dans les postures couchées et de repos qu’on s’en aperçoit le plus facilement : on sent que le corps s’abandonne, se sent porté et se détend.
Dans les faits c’est un défi ; surtout quand les postures sont en mouvement et/ou défient l’équilibre.
Donner son poids, trouver les bons appuis, créent la détente, mais c’est réversible : la détente crée une ouverture dans les articulations qui permet d’affiner les appuis, de ressentir la poussée du sol. Finalement elle donne légèreté et liberté aux mouvements. Tant qu’il ne donne pas corps à ce théorème de base, celui qui pratique peut faire toutes les acrobaties qu’il veut, il n’est pas dans ce que le Yoga sūtra définit comme posture [1]. Le corps, dit le texte, doit être stable, étiré, orienté, mais dans la plus grande détente, sans aucun engagement musculaire inutile. En sanscrit cela se dit sthirasukhamāsanam. On pourrait le traduire par « la posture est pesanteur et grâce [2] »
Regardons une posture comme celle-ci :
Elle demande des aplombs minutieux entre hanche et genoux, épaule et poignet, pour que les deux ceintures scapulaire et pelvienne, se sentant bien portées, se détendent, pour que tout le poids du corps se répartisse entre les différents points de contact avec le sol. Cette répartition est essentielle : on n’est plus porté par des points de contact mais par leur relation. « Etre porté par une relation » est une phrase de Peter Hersnack qui me revient si souvent à la mémoire.
Continuons encore un peu avec cette posture : l’intérêt de la détente des deux ceintures, pelvienne et scapulaire, est que la colonne ne soit coincée ni au niveau des sacro-iliaques, ni entre les omoplates afin qu’elle préserve continuité et connexion entre sacrum et base du crâne.
C’est cette continuité qui offre une circulation du souffle profonde et tranquille alors que nous n’avons pas agi directement sur lui.
Si la posture a les bons appuis et les bonnes directions à chaque instant et pour chaque segment du corps, alors le geste et le souffle deviennent deux partenaires. Ils s’ouvrent des espaces, s’approfondissent sans effort mutuellement, se surprennent l’un et l’autre.
Je vous laisse imaginer ce qui peut se passer dans les quelques postures suivantes.
UNE VISION HOLISTIQUE
Si on entend ce que disent les mots, on voit qu’il est question de bien plus que du corps seul ; ou que le corps est bien plus que ce à quoi on le réduit parfois. Il est la scène de notre existence.
Action dans l’inaction, inaction dans l’action, détachement, liberté, ces mots qui peuvent rester de grands mots vides, si c’est le corps qui les expérimente alors ils y laissent une trace inoubliable.
Donner son poids, recevoir en retour la poussée du sol à la mesure exacte de ce qu’on a donné, découvrir un espace libre pour le souffle, être porté par une relation, cesser de prendre pour se laisser surprendre : est-ce une expérience physique, énergétique, psychologique, philosophique, ou tout cela à la fois ?
[1] āsana
[2] en reprenant le bel alliage de mots qui fait titre d’un ouvrage de la philosophe Simone Weil.